Paraguay : "C’est triste ce qui s’est passé"

Retranscription de l’interview du chancelier argentin Héctor Timerman par le journaliste Martín Granovsky depuis Asunción.

Bien qu’il ne voulût pas s’avancer par rapport à la décision des présidents qui se réuniront jeudi à Mendoza, la manière dont le chancelier argentin a définit la destitution du président Lugo anticipe ce que feront le Mercosur et l’Unasur.

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Retranscription de l’interview du chancelier argentin Héctor Timerman par le journaliste Martín Granovsky depuis Asunción.

Bien qu’il ne voulût pas s’avancer par rapport à la décision des présidents qui se réuniront jeudi à Mendoza, la manière dont le chancelier argentin a définit la destitution du président Lugo anticipe ce que feront le Mercosur et l’Unasur.

Le 24/06/2012, par Martín Granovsky depuis Asunción.

Durant une interview téléphonique, le chancelier Héctor Timerman a accepté de raconter depuis Buenos Aires les démarches des ministres des Affaires étrangères de l’Union des Nations Sud-américaines (UNASUR), vendredi dernier, pour que n’ai pas lieu ce qu’il appelle “une exécution sommaire”.

– Quelle est la position argentine à propos du changement de président au Paraguay ?

– Le gouvernement argentin considère que nous sommes face à une rupture de l’ordre démocratique.

– Pourquoi une rupture, si la destitution de Fernando Lugo a été basée sur le jugement politique ?

– C’est qu’au Paraguay il a été utilisé un mécanisme de la Constitution, mais il a été appliqué de telle manière qu’il viole non seulement l’esprit de cette Constitution mais toute pratique constitutionnelle du monde démocratique.

– Quelle serait la violation ?

– Pratiquer une exécution sommaire. Donner deux heures à un président démocratiquement élu pour se défendre c’est donner un temps plus minime que celui dont on dispose pour faire passer un feu au rouge. Ce qui est arrivé au Paraguay est triste. C’est triste d’avoir vu Lugo vendredi dans l’après-midi seul, dans son bureau du palais du présidentiel, sans papiers sur le bureau, regardant à la télévision comment le Congrès le destituait.

– Les chanceliers de l’Unasur étaient-ils avec lui à ce moment-là ?

– Oui. Après avoir fait tout ce qui était possible pour trouver des alternatives. Mais à aucun moment nous n’avons rencontré le moindre intérêt de l’opposition pour s’entretenir avec nous afin de chercher une option à l’exécution sommaire d’un président. Nous leur avons dit clairement que nous étions là pour respecter en même temps la souveraineté du Paraguay et les accords internationaux que tous ont signé.

– Les textes de l’Unasur et du Mercosur ?

– Les deux. Et je veux éclaircir un point que nous avons dit aux dirigeants de l’opposition à Lugo. Non seulement le Paraguay était obligé de remplir les accords signés. Mais également chacun des autres pays. Nous sommes tous obligés de remplir les accords. Nous devons appliquer les clauses également à nous mêmes.

– A un moment donné les chanceliers de l’Unasur ont-ils vu une occasion d’arrangement ?

– Quand nous sommes arrivés et que nous avons parlé à Lugo pour la première fois il nous a dit qu’il avait encore un espoir. Mais après nous sommes avons vu la réalité en face. D’abord nous nous sommes réunis avec les dirigeants du Parti Colorado [1]. Ils nous ont dit que le gouvernement n’était pas viable et qu’il fallait en changer. Et qu’il fallait le faire rapidement parce qu’ils supposaient que Lugo avait fait appel à des éléments subversifs et violents. Nous nous sommes aussi réunis avec le leader du Parti Libéral Radical Authentique [2] au Congrès. Je rappelle l’une des réponses d’un dirigeant de l’opposition : “Le mieux que les chanceliers de l’Unasur ont à faire c’est de partir”.

– Quelle a été la réponse ?

– Cela : “Monsieur, il est 11 heures du matin. À 12 heures le jugement commence. Y a-t-il quelque chose que vous pouvez me dire pour aider à que cette situation ne devienne pas plus grave ?” Ils m’ont répondu : “Non. La Constitution dicte la manière dont doit être conduit le jugement, pas le temps”. Je leur ai répondu : “Vous parlez d’un chef d’État élu par une représentation populaire. D’autre part, je ne vois personne dans les rues, et moins encore avec une volonté de violence”. Peu après j’ai insisté.

– Avec quel argument ?

– Il était déjà 11 heures et demie du matin. “Continuons de discuter. Dites-moi toutes les idées que vous avez.” D’autres chanceliers leur disaient que le Congrès était entrain d’inventer un règlement. Ils nous ont répondu qu’il n’y avait pas besoin de prouver les faits parce qu’ils étaient notoirement et publiquement connus. Et ils le répétaient à chaque instant : public et notoire. À midi moins le quart il restait un quart d’heure avant le début du jugement. Je leur ai dit : “Messieurs, des temps très durs sont entrain d’arriver au Paraguay car nous allons devoir appliquer la clause démocratique”. Rien n’a semblé les émouvoir. Nous sommes partis parler encore une fois à Lugo. Là, entre chanceliers, on a décidé que nous allions avec Antonio Patriota, du Brésil, discuter avec Federico Franco.

– Il était encore vice-président.

– Oui. Je lui ai dit : “Regardez, il ne reste pas beaucoup de temps. Croyez-vous que ce qu’ils font est juste ? Vous pensez que le monde va reconnaître que la destitution, de cette manière, est un procédé correct”. Je rappelle sa réponse : “Au Paraguay un vice-président a trois tâches : être témoin de la réunion du cabinet, agir comme lien avec le Congrès et assumer la présidence en cas de maladie, de mort ou de destitution du président. Je vais remplir la Constitution paraguayenne”. Je lui ai demandé si les deux heures données au président, pour préparer sa défense, lui paraissait un temps suffisant. Il m’a répondu : “Seul Dieu sait le temps que je lui ai donné”. Je lui ai demandé de nous accompagner, nous les chanceliers, au Congrès et de dire devant nous que son collègue n’avait pas eu le temps de préparer sa défense et que, par conséquent, il n’assumerait pas la présidence en cas de destitution.“C’est que c’est mon devoir de l’assumer”, a dit Franco. L’un de ses acolytes a alors dit que Fernando Collor de Mello [3] avait eu une permission de six mois. Je lui ai demandé si au cas où nous pouvions convaincre Lugo de demander une permission, ils lui donneraient six mois pour préparer sa défense. Ce fut là qu’il m’a dit une phrase que nous avions déjà entendue de la part d’autres dirigeants : “Ce gouvernement n’est pas viable. Ici la violence commencera demain”. Nous lui avons dit qu’il y avait peu de gens dans la rue et qu’il n’y aurait personne qui voudrait générer de la violence. “Non, il est déjà tard”, a répété Franco. Patriota a proposé de demander à Lugo de lancer un appel contre la violence. Je lui ai dit : “Je vais vous dire la vérité sur ce qui va arriver. Le Paraguay souffrira et restera isolé et vous devrez gouverner dans des conditions difficiles”.

– Apparemment, Franco était très décidé.

– Il m’a répondu : “Je suis médecin et je suis habitué à prendre des décisions”. Je lui ai répliqué que les médecins jurent de faire le moins de mal possible à leurs patients et que lui était entrain de faire le plus grand mal possible au Paraguay et à la démocratie. Nous lui avons aussi dit que le Paraguay se transformerait en un second Honduras. Il a répondu : “Mais là-bas ils ont sorti le président en pyjama !”. Nous lui demandons de ne pas se tromper, que la question n’était pas comment un président est habillé quand il est destitué irrégulièrement mais bien l’irrégularité de la destitution. C’est dans une ambiance lourde qu’avec Patriota nous sommes partis, en lui disant que le Paraguay était sûr le point de concrétiser un coup d’État.

– Où avez-vous été ?

– Voir encore une fois Lugo au palais du présidentiel. Quand nous sommes arrivés non seulement il n’y avait pas de violence, mais il y avait moins de gens dans les rues. Avec les chanceliers de l’Unasur et le secrétaire Alí Rodríguez nous avons continué de parler à Lugo, pour ne pas le laisser seul. Nous avons vu le vote à la télévision et quand le jugement en destitution fut terminée nous lui avons dit : “Président, nous partons parce que nous ne voulons pas être là quand Franco assumera la présidence. L’Argentine offre asile à qui le sollicitera”. Lugo a annoncé qu’il resterait au Paraguay et qu’il n’appellerait pas au soulèvement parce qu’il voulait éviter une tuerie. Je lui ai dit que Juan Perón a fait la même chose en 1955 et que l’on peut toujours revenir s’il n’y a pas de morts. Une demi-heure avant la fin de la destitution des militaires sont apparus au palais présidentiel, alors que jusqu’à présent ils n’y étaient pas. Lugo a pensé qu’il s’agissait d’une forme de pression et il nous a contés qu’il reprendrait le travail à la base et parcourrait le pays. Alí Rodríguez lui a dit : “La retraite est le premier pas de l’offensive”. J’ai commenté : “Évidemment, vous êtes le président qui ne devait jamais avoir été, parce qu’il va contre la tradition du Paraguay”. Il nous a demandé de ne pas abandonner le peuple paraguayen et d’aider à défendre les droits de l’homme et les libertés civiques. À six heures de l’après-midi nous nous sommes embrassés et nous sommes partis. Il y avait peu de gens dans les rues.

– Le Mercosur punira-t-il le gouvernement paraguayen ?

– Le Mercosur appliquera les traités que nous avons signé. Et l’Unasur aussi.

– L’incorporation du Venezuela comme membre à part entière est-elle prévue ?

– Comme on le sait, l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay sont intéressés par l’admission du Venezuela, mais je ne crois pas que cela mérite la situation actuelle.

Source : Pagina/12 “Es triste lo que ocurrió”
Traduction : Primitivi


[1Le Parti Colorado, conservateur, fut le pilier de la dictature de Stroessner, ce parti a été au pouvoir durant 62 ans

[2Le PLRA, conservateur, fut allié de Lugo lors de son élection de 2008, et a fait parti du gouvernement, mais il a joué le jeu de l’opposition au Parlement. Ce parti a complètement lâché Lugo jeudi dernier alors que se discutait des réformes fiscales et agraires. Le vice-président Federico Franco, maintenant au pouvoir est un des dirigeant de ce parti.

[3Fernando Collor de Mello, a été président de la République du Brésil de 1990 à 1992, il fut destitué pour corruption. À la suite d’un premier vote de la Chambre des députés, par 441 voix contre 38, le 29 septembre 1992, il doit abandonner le pouvoir et cède provisoirement ses fonctions au vice-président Itamar Franco, conformément à la Constitution, pour une période de 180 jours. Finalement il démissionne le 8 octobre 1992 la veille du vote du Sénat pour éviter d’être destitué.