A quelques heures de la décision électorale au Chili

Dans quelques heures se jouera une nouvelle fois le destin du Chili, et de nouveau nous sommes confrontés au choix entre le pire et le moindre mal.

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Dans quelques heures se jouera une nouvelle fois le destin du Chili, et de nouveau nous sommes confrontés au choix entre le pire et le moindre mal.

Si je pouvais voter au Chili, je le ferai pour Frei dans ce deuxième tour. Je n’ai pas aimé son gouvernement, la Concertación ne me plait pas, mais il est très clair que Piñera représente un retour néfaste à un passé que nul homme ou femme de gauche responsable ne peut permettre par son abstention.

Quelque chose a changé dans ces élections : cette fois il est impossible de délivrer un vote blanc, ou simplement voter, déléguer et oublier le problème jusqu’à la prochaine élection.

Si Frei gagne il faudra exiger, par toutes les formes de participation citoyenne, qu’il applique ses engagements électoraux et aille bien au delà.

Si Frei gagne, ce sera parce qu’une gauche responsable aura sauvé la Concertación [1], et cette même gauche devra exiger que le nouveau gouvernement se saisisse des questions fondamentales pour le retour à une normalité démocratique totale.

Le Chili a besoin d’une nouvelle Constitution, il y en a assez de ces rustines et de ces amendements sporadiques à la Constitution laissée par la dictature.

Le pays a besoin d’une Carta Magna qui représente tous les chiliens et chiliennes, et surtout les minorités discriminées, les mapuches et autres ethnies qui font aussi partie de la nation. Une nouvelle Constitution qui permette d’abolir définitivement les lois odieuses qu’à laissées la dictature, comme la loi d’éducation, et qui ouvre la voie à ce que la justice punisse de manière exemplaire tous ceux qui ont violé les institutions démocratiques.

Une nouvelle Constitution qui ne protège pas l’assassinat des enfants mapuches ni cette pseudo-légalité anti-terroriste appliquée à ceux qui réclament leurs droits ancestraux, et s’opposent à la spoliation d’un territoire qui leur appartient depuis qu’ils sont apparus à la surface de la terre chilienne.

Si Frei gagne, ce sera parce que la gauche démocratique et responsable aura sauvé la Concertación et cette même gauche devra exiger d’elle une récupération urgente du rôle de l’État sur des sujets aussi sensibles que l’éducation et la santé, la prévention et la dignité au travail, le transport et la destination de notre principale richesse minière, le cuivre.

Si Frei gagne, ce sera grâce aux votes d’une gauche qui, représentant l’avis de la majorité, exige la fin de la domination du marché comme unique décideur de l’avenir de tous.

Si Piñera gagne, malgré les défenseurs de l’"alternance", le Chili sera gouverné par un colporteur à la fortune d’origine douteuse, par un "entrepreneur triomphant" style Berlusconi, par un Aznar dans sa façon de nier la complexité sociale, en définitive par un contremaître du profit et de l’inégalité.

Que diable, il faut choisir entre deux maux et j’appelle à voter pour le moindre des maux, à voter pour Frei dans quelques heures.

Piñera et Berlusconi, le miroir

Le sénateur Pablo Longueiro, probablement un des politiques chiliens les plus malhonnêtes, a signalé dans une interview à un média local, que "les chiliens veulent plus d’"isapres" (système privé de santé), plus d’universités privées, moins d’État, plus de liberté". Il s’agit d’un avant-goût préoccupant de ce qui attend le pays si le plus probable arrive dimanche prochain, le triomphe de Sebastián Piñera et avec lui le retour au pouvoir de la droite chilienne grâce au vote populaire, 52 ans après.

L’analyse de Longueira est contraire à toutes les enquêtes d’opinion, en particulier le dernier sondage du cabinet de droite CEP, qui indique précisément ce que les chiliens désirent au contraire : plus d’État et moins de "secteur privé", en réalité ce qu’ont révélé toutes les enquêtes. Des informations qui bien sûr n’apparaissent pas en Une dans la presse locale.

En revanche, une partie importante des chiliens estime que Piñera (la plus grosse fortune du pays) est celui qui exprime le mieux ses intérêts.

L’entrepreneur de 60 ans, à la tête d’une fortune d’un milliard de dollars selon Forbes, a été couramment présenté par ses critiques comme le "Berlusconi chilien" en raison du mélange de genres entre homme politique et homme d’affaires. Le magnat exerce une présence énorme dans les conseils d’administration des entreprises nationales, depuis la compagnie aérienne LAN en passant par le club de foot chilien Colo Colo et la chaine de télévision Chilevisión, qui, entre autres, posent la question du conflit d’intérêts que susciterait son éventuelle accession au pouvoir.

Piñera, tout comme "il cavaliere", a de plus affronté la justice dans de nombreux procès sur les aspects obscurs de sa rapide ascension économique, avec jusqu’à maintenant le même destin que le propriétaire du Milan AC, l’impunité absolue.

Source : Luis Sepúlveda, écrivain, dans la rubrique Opinions du journal bolivien Cambio : A pocas horas de la definición en Chile

Traduction : Sylvain


[1la Concertación est la coalition de partis du centre et de la gauche modérée au pouvoir au Chili depuis la chute de Pinochet en 1990.