Marseille : le 6° forum mondial prend l’eau

L’affaire menace de tourner au scandale. Présenté comme le plus important événement mondial dans le domaine de l’eau, le 6ème Forum mondial de l’eau (Le « Forum des solutions »), organisé à Marseille du 12 au 17 mars 2012 par la cité phocéenne, le gouvernement français et le Conseil mondial de l’eau, une association dirigée par le président d’une filiale de Veolia, s’annonce comme un échec cinglant. Les dépenses somptuaires engagées sur fonds publics n’y auront pas suffi. Au début du mois de février, à un mois de son ouverture, les inscriptions enregistrées au Forum des marchands d’eau ne dépassaient pas le dixième de la participation annoncée !

Je partage sur :

L’affaire menace de tourner au scandale. Présenté comme le plus important événement mondial dans le domaine de l’eau, le 6ème Forum mondial de l’eau (Le « Forum des solutions »), organisé à Marseille du 12 au 17 mars 2012 par la cité phocéenne, le gouvernement français et le Conseil mondial de l’eau, une association dirigée par le président d’une filiale de Veolia, s’annonce comme un échec cinglant. Les dépenses somptuaires engagées sur fonds publics n’y auront pas suffi. Au début du mois de février, à un mois de son ouverture, les inscriptions enregistrées au Forum des marchands d’eau ne dépassaient pas le dixième de la participation annoncée !

Depuis plus de deux ans les organisateurs de cet événement « planétaire » justifiaient, localement, le budget colossal de la manifestation par l’impact que celle-ci devait avoir sur la ville.

Soit rien moins que 20 000 participants – voire 25 000 pour les plus optimistes – annoncés, avec les retombées escomptées sur les commerces, l’hôtellerie et la restauration locale…

Las, à la fin de la semaine dernière, début février, à un mois de l’ouverture du « Forum des solutions », ses organisateurs ne comptabilisaient qu’à peine 3500 inscriptions à l’événement planétaire !

3500 inscriptions payées certes au pris fort de 500 euros par personne jusqu’au 1er janvier, tarif qui est passé à 700 euros par personne depuis le 1er janvier.

Un véritable désastre, pourtant aisément prévisible.

Du coup, en coulisses les couteaux sont tirés et la panique gagne, du Vieux-Port à l’Elysée, puisque l’événement va de surcroît survenir en pleine campagne présidentielle, et a de longue date été préempté par le (pas encore) candidat Sarkozy…

Panique à bord.

Au rythme actuel le Forum alternatif mondial de l’eau semble bien parti pour accueillir davantage de participants que le Forum officiel !

Panique à bord.

Aujourd’hui, avec à peine 3500 inscriptions, le Forum officiel est virtuellement en faillite.

A l’heure des comptes, les règlements de comptes s’annoncent sanglants.

Car le Forum officiel est quasi exclusivement financé sur fonds publics.

Le budget initial de 38 millions d’euros n’a cessé d’être revu à la baisse, jusqu’à 29,6 millions d’euros, après avoir du enregistrer la diminution des apports des entreprises, loin d’être compensée par la hausse des participations de Marseille Provence Métropole (+ 500 000 €) et de la mairie de Marseille (+ 1 000 000 €), ce qui a porté l’investissement de la seule ville de Marseille (la ville la plus pauvre de France), jusqu’au montant faramineux de 5 millions d’euros !

Revue de détail des recettes publiques :

- Ministère de l’Ecologie : 2 millions d’euros

- Ministère des Affaires étrangères : 2 millions d’euros

- Région PACA : 1 million deux cent mille euros

- Département des Bouches-du-Rhône : 1 million d’euros

- Ville de Marseille : 5 millions d’euros

- Marseille Provence Métropole : 2,3 millions d’euros

- Onema et Agences de l’eau : 3 millions d’euros

Total financement public : 16,5 millions d’euros

Revue de détail des recettes « privées » :

- Veolia : 2 millions d’euros

- Suez : 2 millions d’euros

- Société des eaux de Marseille (filiale de Veolia) : 2 millions d’euros

- EDF : 700 000 euros

- Chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence (CCIMP) : 200 000 euros

Recettes Forum initialement attendues :

Inscriptions et droits de stands : 6, 9 millions d’euros.

On voit aisément que c’est ici que le bât blesse, puisque dès l’automne dernier les organisateurs ont compris que les objectifs de 20 000 à 25 000 congressistes, payants, ne seraient jamais atteints, et qu’ils ont dû se résoudre, après avoir à plusieurs reprises songé purement et simplement à annuler le Forum, et à le repousser à 6 mois, à « emprunter » 2,3 millions d’euros… à l’Agence de l’eau Seine Normandie, soit une ponction supplémentaire opérée sur les fonds publics de l’Agence de l’eau, Etablissement public de l’Etat, dont les ressources proviennent des redevances payées par les usagers domestiques de l’eau !

Un emprunt qui serait officiellement remboursé par l’arrivée d’autres partenaires dont la Saur (par ailleurs en très fâcheuse posture entre Séché qui ne peut plus se l’acheter, la CDC qui a refilé le bébé au FSI, et Brousse qui fait de la résistance), qui contribuerait à hauteur de 500 000 euros…

Bref, on s’inquiète (à nouveau…) pour les finances de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, déjà fâcheusement éprouvées par les fredaines des industriels…

Evidemment, Veolia et Suez ont déjà entre temps économisé 3 millions d’euros sur leur participation initialement prévue.

Sans compter que la location du parc Chanot, où va se dérouler la sauterie, va rapporter quelques piécettes à Veolia, qui en est l’exploitant. Bon, Veolia qui songeait initialement à louer un ou deux ferries de la SNCM (dont il est aussi propriétaire), pour accueillir les congressistes sur le Vieux-Port a du en rabattre, puisque de congressistes il n’y en a donc pas…

Mais c’est quand on se penche sur les dépenses du Forum que les choses se gâtent.

Aujourd’hui, donc, à peine 3500 congressistes inscrits, sur 20 à 25 000 annoncés à grand son de trompe, lors même que des dépenses somptuaires ont été engagées – sur fonds publics - prétendument pour aguicher le chaland :

- 9,5 M€ « fléchés » pour « l’organisation événementielle » pendant, mais aussi avant le forum (réunions internationales, location du Parc Chanot, etc.) ;


- 7,5 M€ ont été dévolus aux financements des groupes de travail, ce qui inclut les déplacements des représentants des différents acteurs du forum pour les réunions préparatoires à cette édition marseillaise ;

- la communication, pour lequel le Forum a fait appel à Publicis et que plusieurs acteurs du dossier s’accordent à qualifier d’ « insuffisante », bénéficie pourtant d’un budget de 4 M€ ;


- la gestion quotidienne du forum (salaires, bureaux notamment) a été chiffrée à 2,5 M€ ;

- les invitations et le sponsoring de certains participants (1,1 M€) ;


- enfin pas moins de 5 M€ sont dit réservés pour « le droit d’événement », ce qui semble correspondre, d’après Marsactu, l’excellent quotidien online marseillais qui a recueilli il y a trois semaines ces informations financières, au « ticket d’entrée versé par le Forum au Conseil mondial de l’eau pour accueillir l’événement ». A la différence du label « Capitale européenne de la culture », où il s’agit d’une véritable élection, la ville hôte d’un forum ne ferait en effet l’objet que d’une désignation.

D’où l’interrogation légitime de Marsactu, sans réponse à ce jour, qui s’interrogeait sur le fait de savoir si une part de cette somme ne serait pas affectée à d’autres services que livrerait le CME ?

Quoiqu’il en soit, au vu des inscriptions enregistrées au début du mois de février, le désastre semble inévitable.

Il trouve sa source au confluent de plusieurs phénomènes.

Par temps de crise mondiale un forum thématique de ce type n’attire pas les foules, ni même leurs représentants, qui se débattent avec d’autres soucis.

« L’Ecole Française de l’eau » a commis l’erreur de trop, en voulant à toute force, symboliquement, signer la « reconquista » à Marseille…

Ce n’est pas faute de l’avoir dit aux intéressés : « Ca va se jouer entre Pagnol et Le Parrain, et tourner au désastre… »

Ajouter, pour la scène franco-française, un brutal revirement d’alliance politique droite-gauche/Veolia-Suez, et la guerre désormais ouverte, à outrance, entre les deux leaders mondiaux.

Une présidentielle, et la danse des cobras en coulisses : l’officiel, l’alternatif, avant, après, oui mais non…

L’inauguration, c’est le Président, le candidat ? Et l’imputation du truc sur les frais de campagne ? Va falloir en mouliner des "éléments de langage"...

Reste qu’à ce stade demeure une question : une véritable manne d’argent public aura été engloutie dans ce qui s’annonce comme un show délirant qui se jouera devant et pour quelques happy fews…

Par ces temps de disette reste à espérer que quelques parlementaires vigilants vont se pencher sur la question…
Passe d’armes au Sénat

Eclairage complémentaire. Ce matin, Mme Laurence Cohen, sénatrice (PCF), du Val-de-Marne, interpelle le gouvernement sur le financement du Forum officiel, et l’absence de financement du Forum alternatif...

"M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la question n° 1532, adressée à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

"Mme Laurence Cohen.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Forum mondial de l’eau se réunit tous les trois ans. Comme vous le savez, le prochain se tiendra à Marseille en mars 2012.

Ce forum mondial n’est pas une émanation de l’ONU. C’est un organisme privé, lieu d’affaires privilégié pour les grandes multinationales de l’eau.

Il bénéficie de toutes les attentions des pouvoirs publics, et notamment de moyens financiers conséquents. Son budget s’élève à plus de 30 millions d’euros, provenant en partie de différents ministères, des agences de l’eau, mais aussi de la ville de Marseille, qui contribue à hauteur de 5 millions d’euros.

Le député André Flajolet, président du Comité national de l’eau, ou CNE, a même été désigné commissaire de cet événement, preuve de l’attention toute particulière que lui porte le Gouvernement.

De son côté, le forum alternatif, réunissant des instances et des mouvements du monde entier, est né du constat de l’insuffisance des réponses apportées par le forum « officiel » et de la volonté de prendre la mesure du 1,1 milliard de personnes qui n’ont pas accès à l’eau, ainsi que des plus de 15 millions de celles et ceux qui meurent par manque d’eau ou des suites de maladies liées à la consommation d’eau insalubre.

Les politiques actuelles, menées en lien avec le Conseil mondial de l’eau et le Global Water Partnership, institutions internationales privées, sous l’impulsion de la Banque mondiale et des multinationales de l’eau, dominent le marché et considèrent l’eau comme de l’or bleu. Elles sont bien loin des préoccupations et des besoins des populations pauvres de la planète.

Il y a donc urgence à sortir l’eau de la sphère de la marchandisation et à en faire l’objet d’une réappropriation citoyenne, parce qu’elle représente un droit essentiel à la vie. L’eau, bien commun de l’humanité, doit devenir un droit universel, fondamental et inaliénable, tant elle est au cœur des défis sociétaux, environnementaux, économiques et humains des prochaines décennies. C’était le sens de la proposition de loi que le groupe CRC avait déposée en 2009, tendant à une véritable mise en œuvre du droit à l’eau.

Plusieurs milliers de participants, venus des cinq continents, se rassembleront autour du Forum alternatif mondial de l’eau pour, notamment, porter ce message. Et pourtant, jusqu’à aujourd’hui, malgré des paroles encourageantes – M. Flajolet s’est ainsi engagé à se rendre sur place, ce qui est une très bonne nouvelle car cela contribuera à créer des passerelles d’échanges entre les deux forums –, le forum alternatif ne bénéficie toujours d’aucune subvention ministérielle.

C’est pourquoi je souhaite connaître, monsieur le secrétaire d’État, quel soutien financier le ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement compte apporter à l’organisation et au bon déroulement de ce forum alternatif, pour assurer une utilisation équitable des financements publics.

"M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

"M. Benoist Apparu, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement.

Madame la sénatrice Laurence Cohen, comme vous l’avez rappelé, le Forum mondial de l’eau se déroulera à Marseille du 12 au 17 mars 2012.

Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement attache évidemment une grande importance à cette manifestation. En effet, comme vous venez de le souligner, l’eau est un bien public fondamental, et l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un enjeu vital pour plusieurs milliards d’humains.

Les précédents forums, qui se sont tenus à Marrakech, à La Haye, à Kyoto, à Mexico puis à Istanbul, ont permis de faire progresser la cause de l’eau. Dans la dynamique ainsi créée, l’assemblée générale des Nations unies a adopté le 28 juillet 2010 une résolution qui reconnaît le « droit à une eau potable, salubre et propre comme un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ».

Ces progrès prouvent que, contrairement à ce que vous affirmez, le Forum mondial de l’eau n’est pas le « lieu d’affaires privilégié des grandes multinationales ». Au contraire, il permet de faire dialoguer toutes les parties prenantes : États, collectivités locales, entreprises de tous les secteurs concernés, salariés, organisations non gouvernementales, ou ONG, et citoyens.

Nous souhaitons tout comme vous que le sixième forum mondial de l’eau soit un moment important de rencontres, de débats et d’élaboration de propositions, grâce à la participation de tous les acteurs concernés. À cet égard, nous ne pouvons que regretter l’organisation de forums « alternatifs », qui ne pourront pas créer les conditions d’un véritable débat au sein du Forum mondial de l’eau.

Pour autant, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui est attachée au processus participatif, a demandé que toutes les mesures soient prises pour organiser des passerelles entre le Forum et le forum alternatif. Des moments d’échanges particuliers seront organisés et largement diffusés sur les sujets non consensuels, comme ce que vous appelez « la marchandisation de l’eau et la réappropriation citoyenne ».

Dans le même esprit, le comité national français d’organisation du Forum prendra pour partie en charge les frais de participation, par exemple le transport et le logement, de représentants d’ONG des pays en développement, afin d’assurer une large participation d’acteurs venus des cinq continents.

Pour toutes ces raisons, le ministère ne soutiendra pas financièrement le forum alternatif, mais aidera toutes les parties prenantes à apporter leurs contributions et leurs solutions.

Cela passe jusqu’au Forum par l’inscription sur la plateforme collaborative mise en place sur Internet des solutions portées par les acteurs : déjà plus de 1 000 propositions y ont été inscrites. Cela passe bien évidemment par la participation de tous, y compris la vôtre, au Forum à Marseille du 12 au 17 mars, afin d’en faire véritablement le forum des solutions et des engagements.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d’État, à l’écoute du début de votre intervention, j’ai cru que nous partagions les mêmes aspirations et que nous étions enfin d’accord, s’agissant de l’eau.

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Mais vous avez été déçue ensuite ?

Mme Laurence Cohen. En effet ! J’avais eu l’impression que le Gouvernement prenait conscience de la marchandisation effrénée dont l’eau fait aujourd’hui l’objet, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas possible et que je rêvais…

Je le regrette d’autant plus que, dans la première partie de votre réponse, vous repreniez les préoccupations que j’avais évoquées.

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Nous les partageons !

Mme Laurence Cohen. Vous savez bien qu’il sera très difficile, en l’absence de soutien financier, d’organiser le forum alternatif dans de bonnes conditions et d’en faire un véritable cadre d’échanges dans lequel chacun pourra s’exprimer

Encore une fois, il est nécessaire de montrer qu’une prise de conscience, même tardive, a bien eu lieu, en donnant des moyens au forum alternatif.

J’espère que vous interviendrez en ce sens, monsieur le secrétaire d’État ; les actrices et les acteurs du forum y seraient très sensibles. Vous le savez, on juge les responsables politiques à leurs actes, et non à leurs paroles. Et, pour l’instant, les actes ne suivent pas vos paroles."

Marc Laimé.

Article original paru sur Les eaux glacées du calcul égoïste


Sur le même thème