Evo Morales et l’utilisation permanente du droit à insulter

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Cet article est une réaction de Maria Galindo, activiste féministe bolivienne, aux propos ambigus sur les homosexuels tenus par le président Evo Morales en avril dernier à la conférence sur le climat de Cochabamba. Un article défendant Evo Morales et montrant le rôle pervers de la presse internationale a été publié sur Primitivi en avril.

Il est intéressant de publier un autre avis plus critique, et qui rappelle, même s’il faut évidemment soutenir le changement en Bolivie, qu’un peu de lucidité ne fait pas de mal, que le chemin est encore long et que le changement ne se résume pas seulement au président Evo Morales.

Il est d’ailleurs réconfortant de savoir qu’actuellement l’opposition principale à Evo Morales en Bolivie est de gauche, la droite étant complètement discréditée après ses tentatives de coup d’État, d’attentats, ses déculottées électorales et la fuite de ses dirigeants à Miami.

Evo Morales et l’utilisation permanente du droit à insulter

Vendredi 23 avril 2010

"Rien de plus ressemblant au machisme de droite que le machisme de gauche"

Fouiller et rechercher un fondement scientifique aux affirmations d’Evo Morales [1] concernant le poulet, les OGMs, la masculinité et les chauves, c’est s’écarter du véritable sens, de l’impact et de la maladresse de ces affirmations.

Le problème n’est pas la toxicité des aliments transgéniques ou de la viande de poulet aux hormones, toxicité sur laquelle nous sommes tous et toutes suffisamment informés. Sujet sur lequel les anecdotes rapportées par le président étaient, dans le meilleur des cas, des questions plus que rabâchées. Le problème central est la toxicité du discours du président.

Evo a élaboré, depuis les premiers jours de son mandat, un discours machiste, homophobe et misogyne. Ses blagues lors des discours publics tournent toujours autour de ces thèmes-là.

Ses allusions aux gays, ses allusions à la puissance sexuelle et à la condition d’objet des femmes sont si fréquentes, si nombreuses, que la liste est interminable. Il est impossible de dénombrer les fois où il a humilié son propre vice-président [2], tous et toutes ayant pu voir de quelle façon celui-ci a accepté passivement l’humiliation.

Chaque fois qu’il l’a fait, nous [3] avons réfuté, contesté et protesté dans un simple exercice de la dignité basique, qui est de ne pas rester silencieuses et de ne pas cautionner ces mots par notre silence.

Cependant, les affirmations au cours du sommet [4] en relation à la virilité des hommes qui deviennent bizarres, et aux européens chauves, ont été tenues dans un contexte où l’on parle de respect. Le respect à la "terre mère" [5] comme l’ont appelé ceux qui ont convoqué le sommet (Evo Morales en particulier).

Et dans ce contexte, où le discours central est précisément le respect, le respect à la lenteur de l’estropié, à la manière de voir le monde qu’a chaque peuple et chaque être humain, le respect à la fourmi dans sa petitesse et à l’oiseau dans sa mystérieuse capacité à voler ; le respect comme axe central qui donne son sens à tout.

Dans ce contexte, Evo Morales, qui a organisé ce sommet pour s’élever en tant que défenseur de l’écosystème et sauveur de la terre mère, dans ce contexte il manque de respect à tous les homosexuels du monde, nous traitant de "bizarres" parce qu’à ses yeux la malbouffe affecte la condition de "vrai mâle", et il manque de respect aux européens qui seraient tous chauves.

Il place donc l’homosexualité et la calvitie comme des expressions de dégénérescence ; les chauves deviennent aux yeux du président un exemple de défectuosité, de déformation, de dégénérescence.

Ses déclarations sont vexantes, surprennent et dégoûtent. Les gens se sentent déçus, salis, parce que le masque de Evo est tombé devant tous ses invités et invitées ; ses blagues et sa morgue, son habitude de se moquer de l’autre sont mis à nus.

La question se pose : quel est réellement le niveau de sincérité de cet homme ? C’est lui l’indigène rédempteur, le leader qui peut offrir un climat distinct pour chercher de nouvelles solutions aux problèmes de l’humanité ou, au moins, de la société ?

Hier, un jour après le discours maladroit, après les coups qu’a lancés le président à travers ses mots, même ses assistants, ses conseillers, ces hommes qui l’entourent et qui sont incapables de dire à Evo Morales qu’il s’est trompé, n’ont pas demandé pardon, ne l’ont pas critiqué, non, ils se sont juste efforcés de le justifier, récupérant des arguments d’où ils ont pu [6].

D’un autre côté, la presse de droite a utilisé chacun de ses mots pour jeter à terre tous les efforts du sommet sur le climat et le sens qu’il aurait pu avoir. La droite qui, de plus, à l’échelle mondiale, est homophobe et conservatrice, est apparue comme la porte-voix des gays et des lesbiennes à l’échelle mondiale. Tous les médias du monde en ont profité pour se moquer de Evo Morales, de la Bolivie, de l’indigène et de sa maladresse.

Nous ressentons le ridicule général dans notre sang et notre peau de boliviennes ; nous ressentons la honte dans notre calvitie propre, dans notre condition d’homosexuels. Et à partir de cette sensation que laisse l’insulte, nous interpelons le président une fois de plus pour lui exiger le respect.

Être indigène ne lui donne pas la vérité, être indigène ne transforme pas tout ce qu’il dit en sagesse, être indigène ne convertit pas tout ce qu’il dit en juste, intéressant ou certain. Être indigène ne lui donne pas le droit de se tromper et n’oblige personne à répondre de ses propos de façon paternaliste, en le justifiant et en l’excusant [7].

Cette relation est maladive pour la société bolivienne et pour les propres indigènes du pays et du monde. Être indigène et avoir été pauvre ne donne pas le droit d’insulter, ni a quiconque le devoir de justifier ses propos par une relation pathologique entre indigène et société.

Il y en a assez de cette attitude des intellectuels des gauches qui justifient Evo Morales sur tous les points, qui lui permettent l’incohérence de parler du budget militaire et des puissances impériales, et ne disent rien sur la profusion d’achats d’armement et de privilèges pour les militaires, dans un pays comme la Bolivie.

Evo, justement parce qu’il est indigène, parce qu’il a été pauvre, parce qu’il a souffert des injustices et des humiliations innommables, devrait avoir la sagesse collée à la peau, savoir la valeur du respect de l’autre.

L’insulte est une arme de l’oppresseur, l’insulte détruit et discrédite, l’insulte dénigre et humilie ; et quand tu insultes et que tu reçois l’insulte sans réagir, tu perpétues des relations de déshumanisation de la société.

Et c’est ce rôle que Evo Morales joue depuis un moment avec son discours machiste et homophobe. Il est pathologique d’accepter que le président a le droit d’insulter parce qu’il est indigène.

"Si Evo avait un utérus, l’avortement serait dépénalisé et nationalisé"

L’homophobie est aussi destructive que le racisme.

La xénophobie est amère et inacceptable, et aussi insultante que le colonialisme.

Aucun européen n’est le modèle d’être humain à imposer à l’humanité. Aucun indigène non plus.

L’humanité est diverse et l’unique moteur qui peut restituer les relations horizontales et constructives est précisément le respect.

Le respect à l’aveugle parce qu’il ne voit pas, mais ressent plus que celui qui voit.

Et le respect aux prostituées pour être comme elles sont, le respect à l’esthétique de tout un chacun comme être humain, au corps que chacun et chacune possède.

Et c’est peu demander, c’est la base pour commencer à parler.

Être homosexuel est un choix, être corrompu est une dégénérescence.

Être homosexuel est un choix, être raciste et xénophobe est une dégénérescence.

Être lesbienne est un choix, être homophobe est une dégénérescence.

Maria Galindo [8]
La Acera del Frente

"Ni Dieu, ni maître, ni mari, ni parti"

Source : Etiqueta -
Evo Morales y el ejercicio permanente del derecho a insultar

Traduction : Sylvain


[1Voir par exemple cet article

[3les féministes de Mujeres Creando

[4Sommet sur le climat, qui a eu lieu à Cochabamba en Bolivie, du 20 au 22 avril, et a réuni dirigeants progressistes (Evo Morales, Hugo Chavez, Rafael Correa) et organisations altermondialistes afin de préparer la prochaine conférence mondiale sur le climat à Cancun, et le contre-sommet à Mexico

[5La Pachamama

[6Les excuses d’Evo Morales. Lire aussi cet argumentaire expliquant les propos d’Evo Morales.

[7En gros, un des axes de justification des propos de Evo Morales par son entourage était : Evo est un indigène, il est bourru, n’a pas trop d’éducation et parle comme les "vrais" gens, c’est juste une blague, rien de méchant.

[8Maria Galindo est une activiste féministe bolivienne, fondatrice des Mujeres Creando

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