Honduras : témoignages, la résistance au coup d’État

Dick Emanuelsson et Mirian Huezo sont des reporters indépendants. Leur travail est publié dans beaucoup de publications internationales. Ils vivent à Tegucigalpa et depuis le 28 juin de l’année dernière ils écrivent des articles sur la crise engendrée par le coup militaire contre le Président Manuel Zelaya.

Dans cet entretien ils parlent de leurs expériences lors de la couverture des activités du Front National de Résistance et les séquelles de la répression brutale et constante du régime conjuré durant les sept derniers mois. Ils parlent aussi des risques que ce travail induit en comparant les événements du Honduras depuis juin de l’an passé à la situation en Colombie où des groupes paramilitaires se chargent d’éliminer l’opposition populaire au régime d’Álvaro Uribe.

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Dick Emanuelsson et Mirian Huezo sont des reporters indépendants. Leur travail est publié dans beaucoup de publications internationales. Ils vivent à Tegucigalpa et depuis le 28 juin de l’année dernière ils écrivent des articles sur la crise engendrée par le coup militaire contre le Président Manuel Zelaya.

Dans cet entretien ils parlent de leurs expériences lors de la couverture des activités du Front National de Résistance et les séquelles de la répression brutale et constante du régime conjuré durant les sept derniers mois. Ils parlent aussi des risques que ce travail induit en comparant les événements du Honduras depuis juin de l’an passé à la situation en Colombie où des groupes paramilitaires se chargent d’éliminer l’opposition populaire au régime d’Álvaro Uribe.

Tortilla con Sal : Dick et Mirian, j’imagine que vous avez eu beaucoup d’expériences difficiles voire traumatisantes. Mais peut-être pourrions-nous commencer par votre impression sur l’impact du putsch sur la société hondurienne en général.

Dick Emanuelsson : Eh bien, Toni, c’est toujours un plaisir d’être avec toi dans cette si belle partie du Nicaragua et de pouvoir partager un peu de nos expériences.

Il est vrai que l’impact du coup d’État militaire du 28 juin 2009 est réellement indélébile dans l’histoire du Honduras. Les Honduriens mêmes disent qu’il n’y a pas eu une lutte aussi tenace que cette lutte de sept mois - si ce n’est à l’époque du colonialisme dans la lutte contre les colonisateurs espagnols - afin de résister, de renverser et de combattre ce coup d’État.

En cela ce putsch a laissé beaucoup de traces et surtout il a réveillé un peuple qui, plus que tout autre, dormait. Mais c’est un peuple qui a maintenant démontré une capacité d’organisation terrible, et qui a acquis durant ces mois de lutte une réelle conscience politique et sociale que sincèrement je n’aurai pas cru possible. Et tout cela dans un temps si court.

Le coup n’a pas été battu, mais les putschistes, les architectes du putsch au Pentagone, de la droite latino-américaine et internationale - parmi ceux-ci on trouve José Marie Aznar - ont fait un très mauvais calcul parce que ce qu’ils ont réellement obtenu aujourd’hui c’est un peuple en marche tous les jours entrain de résister d’une manière ou d’une autre. Et c’est pourquoi ce coup, bien qu’il n’ait pas été battu, n’a pas triomphé non plus. Comme dit le proverbe ils ont seulement gagné une bataille, ils n’ont pas gagné la guerre.

Dans ce sens je suis très optimiste pour le peuple hondurien. Ils forment un vaste mouvement politique. Avant c’était le Front National de Résistance Contre le Coup d’État maintenant il s’est transformé en Front National de Résistance Populaire. C’est-à-dire que là s’agglomèrent la plupart des acteurs de cette résistance.

Comme le disait Bertha Cáceres, dirigeante du mouvement populaire indigène, il y a peu : ce coup d’État a changé complètement la manière de vivre du peuple hondurien et de tous ceux qui habitent là.

Ce Front National de Résistance a une diversité énorme. C’est pourquoi il est très fort : parce qu’il est vaste. Et maintenant il est tout à fait conscient de ce qu’il veut. Le premier travail est de continuer à lutter bien sûr et de résister et de combattre les effets et les conséquences du coup d’État. Le travail politique pratique et concret c’est la lutte pour une Assemblée Constituante, solution qui pourra couper les racines des éléments qui ont facilité et rendu possible le coup d’État du 28 juin.

TCS : Mirian, vous êtes Hondurienne et vous êtes très active dans le mouvement des femmes au Honduras depuis plusieurs années à la fois dans votre travail, dans le domaine de l’éducation populaire, et dans d’autres activités. Pour vous en tant que reporter couvrant les séquelles du coup : Voyez-vous un réveil chez les femmes honduriennes ou dans le mouvement de la femme au Honduras ? Est-ce différent maintenant ?

Mirian Huezo : Je pense que oui. En fait dès le premier jour du putsch il y a eu une forte répression. Parce que les putschistes ont monté le coup pour la question de la quatrième urne, un vote pour que le peuple décide s’il voulait une quatrième urne au moment des élections présidentielles ou non [1].

Quelques jours avant le putsch les urnes ont été enlevées. Cela a été un fait important parce que quand a été décidé la confiscation de toutes les urnes misent en place pour le vote sur la quatrième urne, qui n’a finalement jamais été votée : le jour même du vote le 28 juin le coup d’État a eu lieu, c’est là qu’on a réellement commencé à voir l’union des gens, leur indignation et leur courage. Parce que c’était quelque chose de tellement simple : une question, l’occasion pour que le peuple s’exprime, la liberté de dire "un jour les choses peuvent changer au Honduras". Cela n’était jamais arrivé avant.

Et quatre jours plus tard se déroulait le coup d’État. Là les gens se sont levés avec beaucoup plus d’indignation et ont commencé à se rendre compte que la lutte commençait et que cette lutte ne se gagnerait que dans la rue.

Depuis le début, et malgré la répression de la police, les femmes ont toujours été majoritaires au sein de la résistance et leur nombre augmente toujours, autant des jeunes filles que des femmes adultes et aussi beaucoup d’organisations différentes qui rejoignent le mouvement.

Mais là nous pouvons voir, comme le disait mon collègue Dick, la diversité de la résistance et sa capacité à protester de manière pacifique malgré une répression extrêmement forte de la part de la police préventive et de l’armée du Honduras.

On voit que c’est une lutte conséquente et que chaque fois, malgré la répression grandissante, les gens perdent leur peur. Parce lorsqu’on est reporter on pense que le lendemain - parce que la lutte et les manifestations sont constantes, tous les jours - demain il n’y aura pas autant des monde qu’aujourd’hui à cause de la raclé que les forces de l’ordre ont donné à tous les gens hier et des gaz qui ont été terribles.

L’armée et la police lancent toutes sortes de gaz sans aucun contrôle d’un quelconque organisme des Nations Unies, ni de personne, qui vérifierait quels types de gaz sont utilisés. [2]

Et pourtant, le jour suivant il y a encore plus de gens. Et toute cette foule est d’une diversité incroyable : Des parents avec leurs enfants, des femmes enceintes, des commerçants, des groupes d’artistes, d’homosexuels, de lesbiennes.

C’est impressionnant les gens n’ont plus peur, quand quelqu’un s’approche pour demander aux manifestants pourquoi ils sont là, ils n’ont pas de peur de répondre et disent "non, je ne suis pas ici parce qu’ils me paient, je suis ici parce que je crois que le Honduras peut être un pays différent".

Et c’est bien que la lutte commence, que nous commencions à nous organiser - parce qu’on dit que les honduriens ont toujours été des gens silencieux, qui ne protestaient pas, qui ne faisaient rien, qui ne sont pas violents - mais en réalité nous n’acceptons pas les injustices qui arrivent à un président qui a su généré une réelle et grande sympathie.
Comme le disent les affiches : "Mel, l’unique leader", parce que c’est Mel qui s’est chargé d’ouvrir les yeux au peuple hondurien et qui lui a démontré qui tient réellement le pouvoir dans ce pays : l’oligarchie qui ne veux réellement rien de bon pour le peuple. Et c’est le peuple qui lutte et qui maintient le pays. Et c’est le peuple qu’ils exploitent.

TCS : Jusqu’à quel point pensez-vous que les structures de la vie politique au Honduras ont définitivement changé ?

DE : Il est difficile de le prédire, ou de dire que cela a changé jusqu’à tel degré. Mais oui le putsch a laissé, comme tu l’as dit, de très profondes séquelles dans la société hondurienne. Le Honduras ne sera plus comme il était avant le 28 juin. C’est évident pour tout le monde.

Mais cela dépend aussi de la corrélation des forces - si le Front National de Résistance Populaire peut devenir une vraie alternative de pouvoir, de gouvernement. Alors là, oui, tout va changer ; nous nous attendons à cela.

Mais c’est un travail du peuple hondurien. En tant que journaliste, en tant que reporter, notre travail est de couvrir, c’est d’essayer de transmettre ce qui arrive politiquement, et en plus de transmettre l’odeur, le goût, les sentiments, la peine, la joie, le bonheur d’un peuple qui est en lutte.

Et toute cette lutte prend des formes différentes. Dans les multiples formes de luttes au Honduras, ce que l’on a pas vu c’est la lutte armée. Parce que la résistance a dit depuis le premier jour que c’est une lutte pacifique. Et tout le monde suit cette directive bien que selon les organisations des droits de l’homme, plus de 150 honduriens directement en relation avec la résistance aient été assassinés. Plus de 4 000 personnes ont été arrêtées. Des centaines ont été torturées dans les prisons ou les commissariats.

Sans aucun doute, le Honduras n’est pas comme avant le 28 juin. Et dans ce sens il y aura sûrement des changements.

Le nouveau Président Porfirio "Pepe" Lobo a dit qu’il va y avoir différents changements. Mais, bon, c’est un homme typiquement de droite qui aujourd’hui parle de paix, d’amour et de réconciliation dans la famille hondurienne. Mais il tient le même langage que l’extrême-droite qui a gagné les élections au Chili. C’est le même langage que Uribe. C’est le même langage que Martinelli au Panama. La même manière de parler que le continent Européen. [3]

Dans mon propre pays, la Suède, où le parti de droite qui déteste tant la classe ouvrière, le mouvement populaire, le peuple en général, a déclaré pour les élections de 2005 être le parti ouvrier. Ils ont rempli un vide politique comme l’ont fait en Amérique Latine plusieurs hommes de droite. Ici, dans le cas de Pepe Lobo, il n’a aucune crédibilité auprès du mouvement populaire hondurien.

Pour Pepe Lobo il a été très facile de gagner les élections : Elvin Santos, candidat officiel du Parti Libéral, parti auquel appartient également le Président Zelaya, a été complice du coup d’État. Il n’a jamais condamné le putsch. Au contraire, il a fait son jeu tout comme Pepe Lobo. [4]

De cette manière ils ont validé le coup d’État, la base libérale a dit que Santos était un traître et une grande partie des libéraux ne sont pas allés voter aux élections de novembre dernier. Élections qui ont été réglées et organisées sous le contrôle des baïonnettes de l’armée. Il a été alors facile pour Pepe Lobo de gagner ces élections, élections qui sont une extension du coup d’État du 28 juin 2009. [5]

TCS : Mirian : Pouvez-vous parler un peu de vos expériences comme reporter durant les derniers mois ? Je sais que vous étiez assez affectée par les gaz lacrymogènes. Pouvez-vous nous donner une idée de comment cela c’est passé pour vous et pour la majorité des gens qui étaient victimes de ce type de répression au cours des manifestations quotidiennes qui se sont déroulées depuis juin 2009 ?

MH : Donc, pour moi en tant que reporter ce fut quelque chose qui m’a beaucoup impressionné. J’ai été énormément impressionnée par le niveau des abus et de la répression faite sur les médias par la police et l’armée, simplement pour être entrain d’informer sur ce qui se passait réellement au Honduras. La répression qu’ils ont faite sur les médias était assez forte.

Le COFADEH lui-même [6] a relevé 25 plaintes, je crois, à propos de journalistes internationaux qui avaient été réprimés ou malmenés par la police parce qu’ils avaient couvert ce qui se passait. Au niveau des médias nationaux ils ne transmettaient rien. [7]

C’était comme une haine focalisées contre les médias autant parce que nous transmettions ce qui passait, que pour les gens qui offraient des entretiens à propos des événements et sur ce qu’ils ressentaient. C’était une haine contre tout ceux qui suivaient les événements sous les gaz lacrymogènes, sous le soleil, l’eau, avec le risque qu’ils te cassent ton matériel. Incluant aussi le fait que les forces armées te disent des choses obscènes, dégradantes, révoltantes, surtout en tant que femme.

Par exemple, dès que nous couvrions la marche Des Blancs [8] ils nous ont harcelés d’une manière...

TCS : Les Blancs sont ceux qui appuient les putschistes : c’est ça ?

MH : Oui, précisément, ceux qui appuient les putschistes. Alors nous couvrons la marche pour avoir les deux visions, celle de la résistance et celle des gens qui appuyaient le putsch. Et là on nous a traité de tous les noms et ils ont commencés à nous suivre. À nous suivre, mais effrontément. En plus ils ont téléphoné aux médias nationaux (aux mains des putschistes [9]) pour dire que nous étions là et que nous étions des journalistes de la Résistance.

En plus de cela quand nous sortions il y avait une charge d’énergie négative terrible à ce moment là. Je me suis senti traquée. A un moment donné quand nous allions croiser le barrage de l’armée plusieurs types sont venus derrière nous. Et l’un a dit : "tu as déjà vu cette chienne qui va là ?" Il parlait de moi. "Qu’est-ce qu’elle fait ici ? Nous allons la tuer cette pute." Des choses comme ça. Je me suis sentie très mal.

Alors j’ai demandé à une dame "Bien : est-ce-qu’il est interdit de couvrir vos marches ? Est-ce-qu’il est interdit que des journalistes de médias internationaux couvrent ce qui se passe ?"
"Non," m’a-t-elle répondu, "vous pouvez faire tous les entretiens que vous voulez."
"Mais on ne dirait pas," je lui ai dit, "parce que monsieur là, en face de vous, nous accuse."

Je parlais à une dame vivant dans le luxe, avec des vêtements très chers, un chapeau. On aurait dit qu’elle marchait sur la plage, toute pimpante. En contraste complet avec la réalité du peuple hondurien.

TCS : Croyez-vous qu’il est possible de faire un travail indépendant au Honduras, ou que l’on finit forcément par s’aligner avec un côté ou avec l’autre ?

DE : Bon. Il faut dire, comme base de départ, qu’il n’y a pas un seul journaliste dans le monde qui soit neutre. Celui qui dit qu’il est neutre est un hypocrite.

Moi, clairement, dans toute ma vie n’ai jamais caché le fait que j’ai des idées de gauche. Je suis de la classe ouvrière suédoise. Mon père était ouvrier toute sa vie. Il était communiste. Moi aussi j’ai été membre du parti communiste. Depuis 1990 je n’appartiens à aucun parti. Mais, clairement, j’ai conservé tous mes principes parce que je suis issue de cette même classe ouvrière.

J’ai été ouvrier métallurgique durant pas mal d’années. Il avait une formation politique syndicale. J’ai lutté dans un collectif. Je sais ce que signifie l’unité en tant que facteur élémentaire pour arriver à une victoire, un succès collectif.

Dans ce sens nous n’avons jamais caché de que nous participons d’une manière ou d’une autre à ce grand mouvement, pas seulement au Honduras, mais dans toute l’Amérique Latine où il se passe un processus politique extrêmement intéressant dans lequel les peuples se lèvent réellement et bien sûr, parfois ils se retrouvent face à des échecs, mais ce sont des échecs temporels comme dans le cas hondurien. [10]

Mais nous ne prenons pas partie dans notre travail en tant que tel. Comme disait le Che "les révolutionnaires n’ont pas de peur de la vérité". Et nous n’avons pas de peur de la réalité de ce qui se passe au Honduras. Bien que parfois elle soit très douloureuse pour beaucoup de gens, surtout pour les victimes. Il y a déjà tant de familles qui ont leurs lot de tragédies, d’assassinés, de torturés, d’emprisonnés, etc. Mais ce sont des échecs temporels comme je te le disais, ils sont transitoires pour pouvoir aller plus loin.

Comme Mirian disait, nous sommes allés couvrir la marche Des Blancs. Et au moment d’interviewer une ex-gouverneure du département de Francisco Morazán, quasiment immédiatement plusieurs types sont venus à côté de nous demander à voir nos accréditations qui disent "presse internationale", qui indiquent nos noms, courrier électronique, numéro de téléphone et les médias que nous représentons. Ensuite ils prennent leur portable et appellent dieu sait où. Mais je m’imagine qu’ils sont allés voir les organismes de sécurité pour contrôler nos noms dans leur base de données.

Ce travail a ses risques, mais il faut le faire parce que les grands médias ne vont pas dans les marches de la Résistance. Aucun des grands médias n’est allé couvrir la situation dans un quartier pauvre où il y a eu un couvre-feu pendant 38 heures d’affilées et où l’armée et la police sont entrées en faisant feu indistinctement sur la population civile désarmée, en tuant et en blessant beaucoup de gens.

Avec les médias sociaux dont nous défendons réellement les principes, l’éthique d’un journalisme objectif, nous ça nous touche d’y être.

TCS : Vous avez reçu beaucoup de menaces, il y a même eu des assassinats de journalistes qui ont tenté de couvrir la réalité de la situation au Honduras. Vous, Mirian comment voyez-vous la situation des journalistes qui veulent vraiment rapporter ce qui se passe et non ce qu’il convient de dire aux rédacteurs des médias corporatifs ? Si quelqu’un fait vraiment un travail indépendant : Est-ce si grave, les risques sont-ils si sérieux ?

MH : Les risques sont assez sérieux. Et pour assumer ces risques, il faut être bien conscient du rôle que doit tenir un média indépendant. Surtout si va dire le contraire de ce qui sonne agréablement aux oreilles des putschistes.

Mais toutefois, il en y a plusieurs qui disent ces choses, par exemple Radio Globo, où travaillent des journalistes qui se sont réellement engagés à transmettre ce que le peuple veut dire. C’est la soupape de sécurité pour ce peuple en résistance qui a beaucoup souffert et qui continuera de souffrir parce que la répression se poursuit, et pas seulement dans les rues.

TCS : Cela implique que pour des journalistes comme ceux de Radio Progreso [11], Cholusat Sur [12], Radio Globo [13], El Libertador [14], les gens de Común Noticias avec son site web Honduras Laboral [15], tous ces gens là, et vous bien sûr, comme individus : tout ces gens courent-ils assez de danger pour vouloir rapporter la vérité ?

MH : On peut dire que oui.

TCS : Dans votre cas Dick, vous avez assez l’expérience de la situation en Colombie : est-il possible de faire une comparaison entre ce que vous avez vécu là-bas en tant que journaliste et ce que vous vivez maintenant ici au Honduras ?

DE : Oui, certainement. La modalité de la guerre sale qui a commencé avec le coup d’État est presque identique [16], bien qu’elle se situe bien sûr sur une plus petite échelle au Honduras qu’en Colombie - les escadrons de la mort, les groupes de tueurs, différents groupes paramilitaires qui ont vu les jour au Honduras après le coup d’État et qui commettent des actes barbares - égorgent leurs victimes, on trouve des cadavres sans têtes, ou on trouve la tête mais pas le cadavre.

Le journaliste César Silva [17], qui couvrait les activités de la résistance, et qui lui-même a été victime dans plusieurs manifestations populaires. Il a été séquestré, descendu d’un taxi, emmené dans une camionnette blanche sans plaques avec des vitre teintées, par des gens cagoulés. Il a été torturé pendant 24 heures.

Ils connaissaient ses différentes photos même, des photos de... je ne me souviens plus du nom du garçon qui a été assassiné le 23 décembre. Ils sont entrés dans sa chambre et il a été, pratiquement pendu par ses tortionnaires. Il y a beaucoup de cas de ce type.

Ils lui ont balancé tout ça à Silva... car ils connaissaient ses dossiers photos et tout ce qu’il avait photographié.

C’est une manière d’agir très proche de celle que l’on voit en Colombie. Et ce n’est pas pour rien que le vice-président colombien, Francisco Santos, a récemment fait une visite au Honduras [18]. Il y a une offensive de la part du régime de Uribe pour intensifier sa guerre à l’étranger contre tous les exilés colombiens qui vivent à l’extérieur et qui n’acceptent pas ce terrorisme d’état qu’exerce le régime de Uribe contre son propre peuple [19].

Je n’ai aucun doute sur le fait qu’ils ont donné beaucoup d’informations sur tous les gens qui vivent au Honduras et qui ne sont pas d’accord avec le régime de Uribe, même des journalistes internationaux qui vivent au Honduras ou dans d’autres pays. Sûrement que Francisco Santos à remis aux autorités honduriennes plusieurs procédures que possèdent les services de renseignement militaires et les organismes de sécurité colombiens.

Personnellement je n’ai aucun doute là dessus parce qu’ils sont très contents aujourd’hui qu’il y ait un réseau de gouvernement d’extrême-droite allant du Honduras jusqu’au Chili - le Honduras, Panama, la Colombie, le Pérou et le Chili. Avec l’exception de l’Équateur, presque toute la côte pacifique est sous le leadership de Uribe avec un courant d’extrême-droite latino-américaine.

Et au service de qui ? Nous qui avons un peu d’expérience dans l’histoire de ce continent savons parfaitement bien que le Pentagone et la CIA travaillent d’une manière ou d’une autre comme des architectes politiques afin compenser ces mouvements populaires, ce processus politique qui a commencé il y a dix ans avec la victoire de Hugo Chávez Frías au Venezuela.

Cette victoire a signifié la création de l’ALBA, les pays de l’ALBA qui sont totalement indépendants du maître du nord. Cela a signifié la création de l’UNASUR, du MERCOSUR. C’est-à-dire l’Amérique Latine qui essaie de marcher sur ses propres jambes. La région crée ses propres banques - Banco del Sur, Banque de l’ALBA - et un telles variété de projets politiques, sociaux et économiques, qui bien sûr ne plaisent pas du tout à l’empire nord-américain.

TCS : Vous deux pensez-vous que le coup d’État au Honduras va rester comme une tentative réussie de la part des États-Unis et de ses alliées afin de récupérer son influence sur l’Amérique Latine ? Ou : pensez-vous qu’au final le peuple hondurien pourra obtenir l’annulation les effets du putsch ?

DE : Je crois que oui. Tôt ou tard le peuple hondurien va arriver à renverser le putsch. Bien que ce soit assez compliqué parce que l’ennemi est très puissant. Souvenez-vous que le Honduras héberge la base la plus importante de l’aviation des États-Unis en Amérique Latine et aux Caraïbes, la base Palmerola.

Le Président Zelaya a dit "merci beaucoup pour votre temps ici mais remballez vos valises et Adieu." Il a dit cela après l’accident terrible qui est arrivé à un avion de la ligne aérienne Taca dans l’aéroport Toncontín de Tegucigalpa - le septième aéroport le plus dangereux du monde. Alors cette décision de Zelaya, clairement, n’a pas plu du tout.

John Negroponte, qui était l’ambassadeur américain au Honduras dans les années 80 quand toute la société hondurienne a été militarisée. A cette époque les forces militaires ont vu leur budget annuel augmenter de 7 millions à 77 million de dollars dans un laps de temps de seulement trois ans, le laps de temps durant lequel Negroponte était en poste là-bas.

Negroponte est arrivé au Honduras une semaine après que Zelaya ait pris cette décision de dire aux étrangers de partir de la base Palmerola, je crois que c’était en mai 2008. Et il est revenu une fois une semaine avant le coup d’État contre Zelaya, et aussi une semaine après.

Ainsi pour nous il n’y a pas de doute sur le fait que les étrangers soient derrière le coup d’État. Pour le peuple hondurien c’est une chose totalement évidente. Même par le jeu déloyal, le double jeu que jouait l’administration d’Obama et d’Hillary Clinton depuis le premier jour du coup d’État. Et pas seulement depuis le premier jour mais depuis plusieurs semaines avant que le putsch n’arrive, quand tous ces gens y compris l’Ambassadeur Hugo Llorens à Tegucigalpa se sont réunis quatre ou cinq fois avec les putschistes avant le coup d’État. C’est évident.

Et de plus l’avion qui a sorti le Président Zelaya du pays n’est pas sorti par le sud de Tegucigalpa. Il n’est pas sorti par le Costa Rica. Il est parti par le nord, il est parti à 80 kilomètres au nord de Tegucigalpa pour la base Palmerola. Là il a atterri et là il est resté, je ne sais pas combien de temps mais environ 15 ou 20 minutes, sûrement pour recevoir des ordres, sa destination. Alors de là l’avion est parti vers le Costa Rica, ce qui veut dire au sud.

TCS : Eh bien, merci beaucoup Dick et Mirian et soyez prudent à l’avenir. Mes respects à tous les deux. Merci de m’avoir accordé votre temps.

Source : "Honduras : reportando la Resistencia al golpe de Estado"
Traduction : Primitivi


[1La "cuarta urna" : durant les élection présidentielles honduriennes il ya habituellement 3 urnes, une pour le président, une pour les députés et une pour les maires. La quatrième urne aurait été là pour décider si l’État devait ou non organiser un référendum afin de convoquer une Assemblée Constituante

[2Au début de l’automne 2009, durant l’assaut de l’ambassade du Brésil à Tegucigalpa, dans laquelle Mel Zelaya s’était réfugié, des gaz de combats avaient été utilisés. L’ambassade avait été attaquée à l’aide de gaz contenant de fortes doses d’ammoniac et des concentration d’acide hydrocyanique (HCN) ce qui les assimile à des gaz de combat mortels, et aspergée de mélanges chimique par avion et hélicoptère, dont des pesticides. Voir "Grande agitation autour de l’ambassade du Brésil"

[3Donc de la langue de bois, de la novlangue, de l’enfumage. Un discours qui tend à manipuler l’opinion. Pour aller plus loin lire LQR et le livre "Propaganda" d’Edward Bernays (lire le livre en ligne, et une émission spéciale de Là-bas Si J’y Suis)

[4Elvin Santos, pour en savoir un peu plus "Le Clan 81, source de bien des maux"

[5Lobo a remporté les élection avec 56% des voix exprimées. Mais la totalité des votes ne représentent moins de 33% des suffrages, les élections présidentielles de novembre ayant connu une abstention record de plus de 67%. Malgré cela ces élections ont été validées.

[6COFADEH : Comité de Parents de Détenus Disparus au Honduras, comité qui tente de recenser tous les disparus, de localiser les personnes arrêtées et qui enregistre toutes les plaintes afférentes aux violations des droits de l’homme.

[7Les médias nationaux, aux mains de sympathisants du putsch (voir "Qui appuie Micheletti et le gouvernement de facto ?") ne diffusaient que l’aspect négatif, la gêne occasionnée par les manifestations. Appuyant bien sur le fait que ces protestations étaient illégales, voire terroristes et qu’elles étaient un désastre pour l’économie du pays, on découvre maintenant que les détournements de fonds par les putschistes on été nombreux, à tels points que le nouveau gouvernement est maintenant obligé d’en parler.

[8Les "chemises blanches", ou "marches blanches" : manifestations de soutien au putsch pour lesquelles les manifestants portaient des chemises blanches. Organisées par l’Union Civique Démocratique dirigée par Armida de López Contreras, épouse du chancelier du gouvernement de facto. Ces contre-manifestations et l’UCD ont été soutenus par Adolfo Facussé, président de l’Association Nationale des Industriels (ANDI) et par le gouvernement de facto. Voir "un ministre transfert des fonds pour les contre-manifestations" et "les prochaines élections l’enjeu de pressions intenses"

[10Voir l’interview d’Eduardo Galeano "L’Amérique Latine exorcise la culture de l’impuissance"

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